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Si la voiture électrique ne marche pas, c’est de votre faute

Philippe Moureau

Quand les ventes de véhicules électriques peinent à décoller, qui faut-il blâmer ? Les constructeurs automobiles et leurs alliés ont trouvé leur coupable : vous, le consommateur. Leur argument ? Ils ne sont pas opposés aux voitures électriques, ils défendent simplement le “choix du consommateur” face à ce qu’ils appellent un “mandat électrique”. Cette rhétorique bien rodée cache une réalité plus complexe : celle d’une industrie qui peine à s’adapter et préfère pointer du doigt les acheteurs plutôt que de reconnaître ses propres lacunes.

Le paradoxe du choix dans l’automobile moderne

Le marché automobile thermique, fort de ses 100 ans d’existence, offre aujourd’hui une diversité impressionnante. Si vous cherchez un grand SUV en France ou en Europe, vous serez largement servi : les constructeurs français comme Peugeot, Renault ou Citroën proposent plusieurs versions, tandis que les groupes allemands — Volkswagen, BMW, Mercedes — dominent avec une large gamme de SUV de toutes tailles. Par exemple, Volkswagen offre une dizaine de modèles SUV, BMW et Mercedes en alignent chacun plusieurs, et même des marques premium comme Audi et Porsche multiplient les variantes. Cette abondance s’observe dans presque tous les segments des véhicules thermiques.

En revanche, la situation évolue rapidement dans le segment des SUV électriques, même si l’offre reste encore moins diversifiée qu’en thermique. Les constructeurs européens, tels que Renault avec son Scénic électrique, Peugeot avec le e-2008, ainsi que les allemands — Volkswagen ID.4, Audi e-tron Q4, Mercedes EQA et EQC — proposent désormais plusieurs modèles électriques dans la catégorie SUV. Néanmoins, cette offre reste concentrée sur un nombre limité de modèles, souvent positionnés sur le milieu et le haut de gamme. Du côté des berlines électriques, bien que Tesla domine avec la Model 3, plusieurs constructeurs européens ont lancé des alternatives solides comme la Volkswagen ID.7 ou la BMW i4, qui gagnent progressivement des parts de marché.

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Cette dynamique témoigne d’une transition en cours, mais révèle aussi que l’industrie européenne peine encore à proposer une gamme aussi étendue et accessible que celle du thermique, ce qui reflète un certain déséquilibre dans l’allocation des ressources et les priorités stratégiques.

Quand le marketing façonne les désirs des consommateurs

L’argument du “choix consommateur” s’effrite quand on examine l’évolution des préférences automobiles. En 1992, seulement 11% des véhicules vendus étaient équipés de la transmission intégrale alors qu’aujourd’hui, la plupart des modèles électriques le propose. Parallèlement, la part des SUV a bondi. Cette transformation radicale s’explique-t-elle uniquement par une évolution naturelle des besoins ?

La réponse réside dans l’influence du marketing automobile. Pendant des décennies, les constructeurs ont massivement investi dans la promotion des véhicules tout-terrain, surfant sur des images de familles traversant des paysages enneigés ou des chemins forestiers. Ces campagnes ont créé une demande artificielle pour des capacités que la plupart des conducteurs n’utiliseront jamais. Le succès de cette stratégie s’explique par une raison simple : les véhicules équipés de transmission intégrale génèrent des marges bénéficiaires plus élevées.

  • Les SUV et véhicules tout-terrain commandent des prix plus élevés
  • Ils bénéficient de normes d’émissions plus souples
  • Leur rentabilité dépasse largement celle des petites voitures
  • Ils nécessitent plus d’entretien, générant des revenus supplémentaires
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L’électrique victime de son manque de rentabilité

Les véhicules électriques se heurtent au même obstacle que les petites voitures : leur rentabilité limitée. Avec des coûts de batteries encore élevés et des réseaux de distribution conçus pour le thermique, la plupart des constructeurs traditionnels peinent à générer des profits substantiels sur l’électrique. Les concessionnaires, de leur côté, tirent une part importante de leurs revenus de l’entretien des véhicules thermiques, naturellement plus exigeant en maintenance.

Cette réticence économique se traduit par des choix industriels révélateurs. Quand ces mêmes constructeurs proposent leurs camionnettes thermiques en multiples configurations – cabine simple ou double, propulsion ou transmission intégrale, moteurs V6 ou V8 – leurs versions électriques se limitent à une seule carrosserie en transmission intégrale uniquement. La différence de traitement est flagrante et révèle les priorités réelles de l’industrie.

Les succès électriques qui contredisent le discours officiel

Certains modèles électriques pulvérisent les arguments sur le supposé désintérêt des consommateurs. La Tesla Model Y a été la voiture la plus vendue au monde en 2023, tout en générant des profits substantiels. Le Model 3 a réussi l’exploit de détrôner la BMW Série 3 dans le segment premium compact, un bastion que la marque allemande défendait depuis 40 ans. Ces succès démontrent que les consommateurs sont prêts à adopter l’électrique quand on leur propose des produits attractifs.

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Les ventes mondiales de véhicules électriques affichent une croissance exponentielle, tandis que celles des voitures thermiques stagnent depuis leur pic de 2017. Cette dynamique contredit frontalement le discours sur le manque d’intérêt des consommateurs. Le problème ne réside pas dans la demande, mais dans la capacité de l’industrie à proposer des produits électriques compétitifs et désirables.

Au-delà du choix : les enjeux environnementaux et sanitaires

Le débat dépasse largement la question du choix individuel. La transition vers l’électrique vise à remplacer une technologie polluante par une alternative plus propre. Les émissions de gaz d’échappement contribuent aux problèmes respiratoires, particulièrement chez les enfants, tandis que les véhicules surdimensionnés augmentent les risques pour les piétons et surchargent les infrastructures urbaines.

Les constructeurs se trouvent face à un défi marketing inédit : après avoir vanté pendant des décennies les vertus du bruit moteur, de la puissance brute et de l’excès, ils doivent désormais promouvoir des véhicules silencieux, efficaces et raisonnés. Tesla, Rivian, et dans une moindre mesure BMW et Porsche, ont relevé ce défi. Les autres préfèrent blâmer les consommateurs plutôt que d’admettre leurs difficultés d’adaptation à cette révolution technologique.

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